Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/106

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à cultiver ces fleurs ; tâche qui, fût-elle fatigante, serait douce avec toi. »

Ève lui répondit :

« Ô toi, pour qui et de qui j’ai été formée, chair de ta chair, et sans qui mon être est sans but ! ô mon guide et mon chef, ce que tu as dit est juste et raisonnable. Nous devons en vérité à notre Créateur des louanges et des actions de grâce journalières : moi principalement qui jouis de la plus heureuse part en possédant, toi supérieur par tant d’imparités, et qui ne peux trouver un compagnon semblable à toi.

« Souvent je me rappelle ce jour où je m’éveillai du sommeil pour la première fois ; je me trouvai posée à l’ombre sur des fleurs, ne sachant, étonnée, ce que j’étais, où j’étais, d’où et comment j’avais été portée là. Non loin de ce lieu, le son murmurant des eaux sortait d’une grotte, et les eaux se déployaient en nappe liquide : alors elles demeuraient tranquilles et pures comme l’étendue du ciel. J’allai là avec une pensée sans expérience ; je me couchai sur le bord verdoyant, pour regarder dans le lac uni et clair qui me semblait un autre firmament. Comme je me baissais pour regarder, juste à l’opposé une forme apparut dans le cristal de l’eau, s’y penchant pour me regarder ; je tressaillis en arrière ; elle tressaillit en arrière ; charmée, je revins bientôt ; charmée, elle revint aussitôt avec des regards de sympathie et d’amour. Mes yeux seraient encore attachés sur cette image, je m’y serais consumée d’un vain désir, si une voix ne m’eût ainsi avertie :

« Ce que tu vois, belle créature, ce que tu vois là est toi-même ; avec toi cet objet vient et s’en va : mais suis-moi, je te conduirai là où ce n’est point une ombre qui attend ta venue et tes doux embrassements. Celui dont tu es l’image, tu en jouiras inséparablement. Tu lui donneras une multitude d’enfants semblables à toi-même, et tu seras appelée la mère du genre humain. »

« Que pouvais-je faire, sinon suivre invisiblement conduite ? Je t’entrevis, grand et beau en vérité, sous un platane ; cepen-