Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/159

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entendement sain, une délibération et une active recherche découvriront cette cause. » —

« Il s’assit, et dans l’assemblée se leva Nisroc, le chef des principautés ; il se leva comme un guerrier échappé d’un combat cruel : travaillé de blessures, ses armes fendues et hachées jusqu’à destruction ; d’un air sombre il parla en répondant ainsi :

« — Libérateur, toi qui nous délivras des nouveaux maîtres, guide à la libre jouissance de nos droits comme dieux, il est dur cependant pour des dieux, nous la trouvons trop inégale la tâche de combattre dans la douleur contre des armes inégales, contre des ennemis exempts de douleur et impassibles. De ce mal, notre ruine doit nécessairement advenir ; car que sert la valeur ou la force, quoique sans pareilles, lorsqu’on est dompté par la douleur qui subjugue tout et fait lâcher les mains aux plus puissants ? Peut-être pourrions-nous retrancher de la vie le sentiment du plaisir et ne pas nous plaindre, mais vivre contents, ce qui est la vie la plus calme ; mais la douleur est la parfaite misère, le pire des maux, et si elle est excessive, elle surmonte toute patience. Celui qui pourra donc inventer quelque chose de plus efficace pour porter des blessures à nos ennemis encore invulnérables, ou qui saura nous armer d’une défense pareille à la leur, ne méritera pas moins de moi que celui auquel nous devons notre délivrance. » —

« Satan, avec un visage composé, répliqua :

« — Ce secours, non encore inventé, que tu crois justement si essentiel à nos succès, je te l’apporte. Qui de nous contemple la brillante surface de ce terrain céleste sur lequel nous vivons, ce spacieux continent du ciel orné de plante, de fruit, de fleur, d’ambroisie, de perles et d’or ; qui de nous regarde assez superficiellement ces choses pour ne comprendre d’où elles germent profondément sous la terre, matériaux noirs et crus d’une écume spiritueuse et ignée, jusqu’à ce que, touchées et pénétrées d’un rayon des cieux, elles poussent si belles et s’épanouissent à la lumière ambiante ?