Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/191

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vaste, et étendu ses lignes si loin, afin que l’homme puisse savoir qu’il n’habite pas chez lui ; édifice trop grand pour qu’il le remplisse, logé qu’il est dans une petite portion : le reste est formé pour des usages mieux connus de son souverain Seigneur. Attribue la vitesse de ces cercles, quoique sans nombre, à l’omnipotence de Dieu, qui pourrait ajouter à des substances matérielles une rapidité presque spirituelle. Tu ne me crois pas lent, moi qui, depuis l’heure matinale parti du ciel où Dieu réside, suis arrivé dans Éden avant le milieu du jour, distance inexprimable dans des nombres qui aient un nom.

« Mais j’avance ceci, en admettant le mouvement des cieux, pour montrer combien a peu de valeur ce qui te porte à en douter ; non que j’affirme ce mouvement, quoiqu’il te semble tel, à toi qui as ta demeure ici sur la terre. Dieu, pour éloigner ses voies du sens humain, a placé le ciel tellement loin de la terre, que la vue terrestre, si elle s’aventure, puisse se perdre dans des choses trop sublimes, et n’en tirer aucun avantage.

« Quoi ? si le soleil est le centre du monde, et si d’autres astres (par sa vertu attractive et par la leur même incités) dansent autour de lui des rondes variées ? Tu vois dans six planètes leur course errante, maintenant haute, maintenant basse, tantôt cachée, progressive, rétrograde ou demeurant stationnaire : que serait-ce si la septième planète, la terre (quoiqu’elle semble si immobile), se mouvait insensiblement par trois mouvements divers ? Sans cela ces mouvements, ou tu les dois attribuer à différentes sphères mues en sens contraire croisant leurs obliquités, ou tu dois sauver au soleil sa fatigue, ainsi qu’à ce rhombe rapide supposé nocturne et diurne, invisible d’ailleurs au-dessus de toutes les étoiles ; roue du jour et de la nuit. Tu n’aurais plus besoin d’y croire si la terre, industrieuse d’elle-même, cherchait le jour en voyageant à l’orient, et si de son hémisphère opposé au rayon du soleil elle rencontrait la nuit son autre hémisphère étant encore éclairé de la lumière du jour. Que serait-ce si cette lumière reflétée