Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/195

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sueur embaumée que par ses rayons le soleil sécha en se nourrissant de la fumante humidité. Droit vers le ciel, je tournai mes yeux étonnés, et contemplai quelque temps le firmament spacieux, jusqu’à ce que levé par une rapide et instinctive impulsion, je bondis, comme m’efforçant d’atteindre là, et je me tins debout sur mes pieds.

« Autour de moi, j’aperçus une colline, une vallée, des bois ombreux, des plaines rayonnantes au soleil, et une liquide chute de ruisseaux murmurants ; dans ces lieux j’aperçus des créatures qui vivaient et se mouvaient, qui marchaient ou volaient ; des oiseaux gazouillant sur les branches : tout souriait ; mon cœur était noyé de joie et de parfum.

« Je me parcours alors moi-même, et membre à membre je m’examine, et quelquefois je marche, et quelquefois je cours avec des jointures flexibles, selon qu’une vigueur animée me conduit ; mais qui j’étais, où j’étais, par quelle cause j’étais, je ne le savais pas. J’essayai de parler, et sur-le-champ je parlai ; ma langue obéit et put nommer promptement tout ce que je voyais.

« Toi, soleil, dis-je, belle lumière ! et toi, terre éclairée, si fraîche et si riante ! vous, collines et vallées ; vous, rivières, bois et plaines ; et vous qui vivez et vous mouvez, belles créatures, dites, dites, si vous l’avez vu, comment suis-je ainsi venu, comment suis-je ici ? Ce n’est de moi-même ; c’est donc par quelque grand créateur prééminent en bonté et en pouvoir. Dites-moi comment je puis le connaître, comment l’adorer celui par qui je me meus, je vis, et sens que je suis plus heureux que je ne le sais ?

« Pendant que j’appelais de la sorte et que je m’égarais je ne sais où, loin du lieu où j’avais d’abord respiré l’air et vu d’abord cette lumière fortunée, comme aucune réponse ne m’était faite, je m’assis pensif sur un banc vert, ombragé et prodigue de fleurs. Là, un agréable sommeil s’empara de moi pour la première fois, et accabla d’une douce oppression mes sens assoupis, non troublés, bien qu’alors je me figurasse