Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/203

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près de toi, alors que tu attaches trop de prix à des choses moins excellentes, comme tu t’en aperçois toi-même.

« Aussi bien qu’admires-tu ? qu’est-ce qui te transporte ainsi ? Des dehors ! beaux sans doute et bien dignes de ta tendresse, de ton hommage et de ton amour, non de ta servitude. Pèse-toi avec la femme, ensuite évalue : souvent rien n’est plus profitable que l’estime de soi-même bien ménagée et fondée en justice et en raison. Plus tu connaîtras de cette science, plus ta compagne te reconnaîtra pour son chef, à des réalités cédera toutes ses apparences. Elle est faite ainsi ornée pour te plaire davantage, ainsi imposante pour que tu puisses aimer avec honneur ta compagne, qui voit quand tu parais le moins sage.

« Mais si le sens du toucher, par lequel l’espèce humaine est propagée, te paraît un délice cher au-dessus de tout autre, songe que le même sens a été accordé au bétail et à chaque bête : lequel ne leur aurait pas été révélé et rendu commun si quelque chose existait là dedans, digne de subjuguer l’âme de l’homme ou de lui inspirer la passion.

« Ce que tu trouves d’élevé, d’attrayant, de doux, de raisonnable, dans la société de ta compagne, aime-le toujours ; en aimant tu fais bien ; dans la passion, non, car en celle-ci le véritable amour ne consiste pas. L’amour épure les pensées et élargit le cœur ; il a son siège dans la raison, et il est judicieux ; il est l’échelle par laquelle tu peux monter à l’amour céleste, n’étant pas plongé dans le plaisir charnel : c’est pour cette cause que parmi les bêtes aucune compagne ne t’a été trouvée. »

Adam, à demi honteux, répliqua :

« Ni l’extérieur de la femme, formé si beau, ni rien de la procréation commune à toutes les espèces (quoique je pense du lit nuptial d’une manière beaucoup plus élevée et avec un mystérieux respect), ne me plaisent autant dans ma compagne que ces manières gracieuses, ces mille décences sans cesse découlant de toutes ses paroles, de toutes ses actions mêlées d’amour, de douce complaisance, qui révèlent une union sincère