Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/209

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dans lequel il pût entrer et cacher ses noires suggestions au regard le plus perçant : car dans le rusé serpent toutes les finesses ne seraient suspectes à personne, comme procédant de son esprit et de sa subtilité naturelle, tandis que, remarquées dans d’autres animaux, elles pourraient engendrer le soupçon d’un pouvoir diabolique, actif en eux et surpassant l’intelligence de ces brutes. Satan prit cette résolution ; mais d’abord de sa souffrance intérieure, sa passion éclatant, s’exhala en ces plaintes :

« Ô terre ! combien tu ressembles au ciel, si tu ne lui es plus justement préférée ! Demeure plus digne des dieux, comme étant bâtie par les secondes pensées, réformant ce qui était vieux. Car, quel Dieu voudrait élever un pire ouvrage, après en avoir bâti un meilleur ? Terrestre ciel autour duquel se meuvent d’autres cieux qui brillent : encore leurs lampes officieuses apportent-elles lumière sur lumière, pour toi seul, comme il semble, concentrant en toi tous leurs précieux rayons d’une influence sacrée ! De même que dans le ciel Dieu est centre et toutefois s’étend à tout, de même toi centre tu reçois de tous ces globes : en toi, non en eux-mêmes toute leur vertu connue apparaît productive dans l’herbe, dans la plante et dans la plus noble naissance des êtres animés d’une graduelle vie : la végétation, le sentiment, la raison, tous réunis dans l’homme.

« Avec quel plaisir j’aurais fait le tour de la terre si je pouvais jouir de quelque chose ! Quelle agréable succession de collines, de vallées, de rivières, de bois et de plaines ! à présent la terre, à présent la mer, des rivages couronnés de forêts, des rochers, des antres, des grottes ! Mais je n’y ai trouvé ni demeure ni refuge ; et plus je vois de félicités autour de moi, plus je sens de tourments en moi, comme si j’étais le siège odieux des contraires : tout bien pour moi devient poison, et dans le ciel ma condition serait encore pire.

« Mais je ne cherche à demeurer ni ici ni dans le ciel, à moins que je n’y domine le souverain maître des cieux. Je