Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/228

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre : d’autres soins peut-être peuvent avoir distrait d’une continuelle vigilance notre grand prohibiteur, en sûreté avec tous ses espions autour de lui… Mais de quelle manière paraîtrai-je devant Adam ? lui ferai-je connaître à présent mon changement ? lui donnerai-je en partage ma pleine félicité, ou plutôt non ? Garderai-je les avantages de la science en mon pouvoir, sans copartenaire, afin d’ajouter à la femme ce qui lui manque, pour attirer d’autant plus l’amour d’Adam, pour me rendre plus égale à lui, et peut-être (chose désirable) quelquefois supérieure ? car inférieure, qui est libre ? Ceci peut bien être… Mais quoi ? si Dieu a vu ? si la mort doit s’ensuivre ? alors je ne serai plus, et Adam, marié à une autre Ève, vivra en joie avec elle, moi éteinte : le penser, c’est mourir ! Confirmée dans ma résolution, je me décide : Adam partagera avec moi le bonheur ou la misère. Je l’aime si tendrement qu’avec lui je puis souffrir toutes les morts : vivre sans lui n’est pas la vie. »

Ainsi disant, elle détourna ses pas de l’arbre ; mais auparavant elle lui fait une révérence profonde comme au pouvoir qui habite cet arbre, et dont la présence a infusé dans la plante une sève savante découlée du nectar, breuvage des dieux.

Pendant ce temps-là Adam, qui attendait son retour avec impatience, avait tressé une guirlande des fleurs les plus choisies, pour orner sa chevelure et couronner ses travaux champêtres, comme les moissonneurs ont souvent accoutumé de couronner leur reine des moissons. Il se promettait une grande joie en pensée et une consolation nouvelle dans un retour si longtemps différé. Toutefois devinant quelque chose de malheureux, le cœur lui manquait ; il en sentait les battements inégaux : pour rencontrer Ève, il alla par le chemin qu’elle avait pris le matin, au moment où ils se séparèrent.

Il devait passer près de l’arbre de science : là il la rencontra à peine revenant de l’arbre ; elle tenait à la main un rameau du plus beau fruit couvert de duvet qui souriait, nouvellement cueilli, et répandait l’odeur de l’ambroisie. Elle se hâta vers