Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/248

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force de bâtir ainsi au loin, et de surcharger de cet énorme pont le sombre abîme. « Tout ce monde est tien désormais ; ta vertu a gagné ce que ta main n’a point bâti, ta sagesse a recouvré avec avantage ce que la guerre avait perdu, et vengé pleinement notre défaite dans le ciel. Ici tu régneras monarque, là tu ne régnais pas : qu’il domine encore là ton vainqueur, comme le combat l’a décidé, en se retirant de ce monde nouveau, aliéné par sa propre sentence. Désormais qu’il partage avec toi la monarchie de toutes choses divisées par les frontières de l’Empyrée : à lui la cité de forme carrée, à toi le monde orbiculaire ; ou qu’il ose t’éprouver, toi à présent plus dangereux pour son trône. »

Le prince des ténèbres lui répondit avec joie :

« Fille charmante, et toi, mon fils et petit-fils à la fois, vous avez donné aujourd’hui une grande preuve que vous êtes la race de Satan, car je me glorifie de ce nom, antagoniste du Roi tout-puissant du ciel. Bien avez-vous mérité de moi et de tout l’infernal empire, vous qui si près de la porte du ciel avez répondu à mon triomphe par un acte triomphal, à mon glorieux ouvrage par cet ouvrage glorieux, et qui avez fait de l’enfer et de ce monde un seul royaume (notre royaume), un seul continent de communication facile.

« Ainsi pendant qu’à travers les ténèbres je vais descendre aisément par votre chemin chez mes puissances associées, pour leur apprendre ces succès et me réjouir avec elles ; vous deux, le long de cette route, parmi ces orbes nombreux (tous à vous), descendez droit au paradis ; habitez-y, et régnez dans la félicité. De là, exercez votre domination sur la terre et dans l’air, principalement sur l’homme, déclaré le seigneur de tout : faites-en d’abord votre vassal assuré, et à la fin tuez-le. Je vous envoie mes substituts et je vous crée sur la terre plénipotentiaires d’un pouvoir sans pareil émanant de moi. — Maintenant de votre force unie dépend tout entière ma tenure du nouveau royaume que le Péché a livré à la Mort par mes