Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veux tout en désordre, tomba humble à ses pieds, et les embrassant, elle implora sa paix et fit entendre sa plainte :

« Ne m’abandonne pas ainsi, Adam ; le ciel est témoin de l’amour sincère et du respect que je te porte dans mon cœur. Je t’ai offensé sans intention, malheureusement trompée ! Ta suppliante, je mendie la miséricorde et j’embrasse tes genoux. Ne me prive pas de ce dont je vis, de tes doux regards, de ton conseil, qui dans cette extrême détresse sont ma seule force et mon seul appui. Délaissée de toi, où me retirer ? où subsister ? Tandis que nous vivons encore (à peine une heure rapide peut-être), que la paix soit entre nous ! Unis dans l’offense, unissons-nous dans l’inimitié contre l’ennemi qui nous a été expressément désigné par arrêt, ce cruel serpent. Sur moi n’exerce pas ta haine pour ce malheur arrivé, sur moi déjà perdue, moi plus misérable que toi. Nous avons péché tous les deux ; mais toi contre Dieu seulement, moi contre Dieu et toi. Je retournerai au lieu même du jugement ; là par mes cris j’importunerai le ciel, afin que la sentence écartée de ta tête, tombe sur moi, l’unique cause pour toi de toute cette misère ! moi seule, juste objet de la colère de Dieu ! »

Elle finit en pleurant, et son humble posture, dans laquelle elle demeura immobile jusqu’à ce qu’elle eût obtenu la paix pour sa faute reconnue et déplorée, excita la commisération dans Adam. Bientôt son cœur s’attendrit pour elle naguère sa vie et son seul délice, maintenant soumise à ses pieds dans la détresse ; créature si belle, cherchant la réconciliation, le conseil et le secours de celui à qui elle avait déplu. Tel qu’un homme désarmé, Adam perd toute sa colère ; il relève son épouse, et bientôt avec ces paroles pacifiques :

« Imprudente, trop désireuse (à présent comme auparavant) de ce que tu ne connais pas, tu souhaites que le châtiment entier tombe sur toi ! Hélas ! souffre d’abord ta propre peine, incapable que tu serais de supporter la colère entière de Dieu, dont tu ne sens encore que la moindre partie, toi qui supportes si mal mon déplaisir ! Si les prières pouvaient changer