Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/280

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naître quelles misères l’inabstinence d’Ève apportera aux hommes. »

Aussitôt parut devant ses yeux un lieu triste, infect, obscur, qui ressemblait à un lazaret. Dans ce lieu étaient des multitudes de malades, toutes les maladies qui causent d’horribles spasmes, de déchirantes tortures, des défaillances de cœur, souffrant l’agonie, les fièvres de toutes espèces, les convulsions, les épilepsies, les cruels catarrhes, la pierre intestine, et l’ulcère, la colique aiguë, la frénésie démoniaque, la mélancolie songeresse et la lunatique démence, la languissante atrophie, le marasme, la peste qui moissonne largement, les hydropisies, les asthmes et les rhumatismes qui brisent les joints. Cruelles étaient les secousses, profonds les gémissements. Le Désespoir, empressé de lit en lit, visitait les malades, et sur eux la Mort triomphante brandissait son dard ; mais elle différait de frapper, quoique souvent invoquée par leurs vœux comme leur premier bien et leur dernière espérance.

Quel cœur de rocher aurait pu voir longtemps d’un œil sec un spectacle si horrible ? Adam ne le put, et il pleura, quoiqu’il ne fût pas né de la femme : la compassion vainquit ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, et pendant quelques moments le livra aux pleurs : jusqu’à ce que de plus fermes pensées en modérèrent enfin l’excès. Recouvrant à peine la parole, il renouvela ses plaintes.

« Ô malheureuse espèce humaine ! à quel abaissement descendue ! à quel misérable état réservée ? mieux vaudrait n’être pas née ! Pourquoi la vie nous a-t-elle été donnée, si elle nous devait être ainsi arrachée ? plutôt, pourquoi nous a-t-elle été ainsi imposée ? Qui, si nous connaissions ce que nous recevons, ou voudrait accepter la vie offerte, ou aussitôt ne demanderait à la déposer, content d’être renvoyé en paix ? L’image de Dieu, créée d’abord dans l’homme si belle et si droite, quoique depuis fautive, peut-elle être ravalée à des souffrances hideuses à voir, à des tortures inhumaines ? Pourquoi, l’homme retenant encore une partie de la ressemblance