Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/295

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mais la justice, et quelque fatale malédiction annexée, les privera de leur liberté extérieure, leur liberté intérieure étant perdue : témoin le fils irrévérent de celui qui bâtit l’arche, lequel, pour l’affront qu’il fit à son père, entendit contre sa vicieuse race cette pesante malédiction : Tu seras l’esclave des esclaves.

« Ainsi ce dernier monde, comme le premier, ira sans cesse de mal en pis, jusqu’à ce que Dieu, fatigué enfin de leurs iniquités, retire sa présence du milieu d’eux, et détourne ses saints regards résolu d’abandonner désormais les hommes à leurs propres voies corrompues, et de se choisir parmi toutes les nations un peuple de qui il sera invoqué, un peuple à naître d’un homme plein de foi. Cet homme, résident encore sur les bords de l’Euphrate, aura été élevé dans l’idolâtrie.

« Oh ! pourras-tu croire que les hommes, tandis que le patriarche sauvé du déluge existait encore, soient devenus assez stupides pour abandonner le Dieu vivant, pour s’abaisser à adorer comme dieux leurs propres ouvrages de bois et de pierre ! Cependant le Très-Haut daignera, par une vision, appeler cet homme de la maison de son père, du milieu de sa famille et des faux dieux, dans une terre, qu’il lui montrera : il fera sortir de lui un puissant peuple et répandra sur lui sa bénédiction, de façon que dans sa race toutes les nations seront bénies.

« Il obéit ponctuellement ; il ne connaît point la terre où il va, cependant il croit ferme. Je le vois (mais tu ne le peux voir) avec quelle foi il laisse ses dieux, ses amis, son sol natal, Ur de Chaldée ; il passe maintenant le gué à Haran ; après lui marche une suite embarrassante de bestiaux, de troupeaux et de nombreux serviteurs : il n’erre pas pauvre, mais il confie toute sa richesse à Dieu qui l’appelle dans une terre inconnue. Maintenant il atteint Chanaan : je vois ses tentes plantées aux environs de Sichem et dans la plaine voisine de Moreh : là il reçoit la promesse du don de toute cette terre à sa postérité, depuis Hamath, au nord, jusqu’au désert, au sud