Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/34

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éveillées. Non que ces esprits ignorent le malheureux état où ils sont réduits, ou qu’ils ne sentent pas leurs affreuses tortures ; mais bientôt ils obéissent innombrables à la voix de leur général.

Comme quand la puissante verge du fils d’Amram, au jour mauvais de l’Égypte, passa ondoyante le long du rivage, et appela la noire nuée de sauterelles, touées par le vent d’orient, qui se suspendirent sur le royaume de l’impie Pharaon de même que la nuit, et enténébrèrent toute la terre du Nil : ainsi sans nombre furent aperçus ces mauvais anges, planant sous la coupole de l’enfer, entre les inférieures, les supérieures et les environnantes flammes, jusqu’à ce qu’un signal donné, la lance levée droite de leur grand sultan, ondoyant pour diriger leur course, ils s’abattent, d’un égal balancement, sur le soufre affermi, et remplissent la plaine. Ils formaient une multitude telle que le Nord populeux n’en versa jamais de ses flancs glacés pour franchir le Rhin ou le Danube, alors que ses fils barbares tombèrent comme un déluge sur le Midi, et s’étendirent, au-dessous de Gibraltar, jusqu’aux sables de la Libye.

Incontinent de chaque escadron et de chaque bande, les chefs et les conducteurs se hâtèrent là où leur grand général s’était arrêté. Semblables à des dieux par la taille et par la forme, surpassant la nature humaine, royales dignités, puissances, qui siégeaient autrefois dans le ciel, sur les trônes : quoique dans les archives célestes on ne garde point maintenant la mémoire de leurs noms, effacés et rayés par leur rébellion, du Livre de vie. Ils n’avaient pas encore acquis leurs noms nouveaux parmi les fils d’Ève ; mais lorsque, errant sur la terre, avec la haute permission de Dieu, pour l’épreuve de l’homme, ils eurent, à force d’impostures et de mensonges, corrompu la plus grande partie du genre humain, ils persuadèrent aux créatures d’abandonner Dieu leur créateur, de transporter souvent la gloire invisible de celui qui les avait faits, dans l’image d’une brute ornée de gaies religions pleines de pompes et d’or, et d’adorer les démons pour divinités : alors ils furent connus aux