Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa tête, ses mains, ses ailes, ses pieds, il nage, plonge, guée, rampe, vole.

Enfin, une étrange et universelle rumeur de sons sourds et de voix confuses, née du creux des ténèbres, assaillit l’oreille de Satan avec la plus grande véhémence. Intrépide, il tourne son vol de ce côté, pour rencontrer le pouvoir quelconque ou l’esprit du profond abîme qui réside dans ce bruit, afin de lui demander de quel côté se trouve la limite des ténèbres la plus rapprochée confinant à la lumière.

Soudain voici le trône du Chaos et son noir pavillon se déploie immense sur le gouffre de ruines. La Nuit, vêtue d’une zibeline noire, siège sur le trône à côté du Chaos : fille aînée des êtres, elle est la compagne de son règne. Auprès d’eux se tiennent Orcus et Ades, et Demogorgon au nom redouté, ensuite la Rumeur, et le Hasard, et le Tumulte, et la Confusion toute brouillée, et la Discorde aux mille bouches différentes. Satan hardiment va droit au Chaos.

« Vous, pouvoirs et esprits de ce profond abîme, Chaos et antique Nuit, je ne viens point à dessein, en espion explorer ou troubler les secrets de votre royaume ; mais, contraint d’errer dans ce sombre désert, mon chemin vers la lumière m’a conduit à travers votre vaste empire ; seul et sans guide, à demi perdu, je cherche le sentier le plus court qui mène à l’endroit où vos obscures frontières touchent au ciel. Ou si quelque autre lieu envahi sur votre domaine, a dernièrement été occupé par le Roi éthéré, c’est afin d’arriver là que je voyage dans ces profondeurs. Dirigez ma course : bien dirigée, elle n’apportera pas une médiocre récompense à vos intérêts, si de cette région perdue toute usurpation étant chassée, je la ramène à ces ténèbres primitives et à votre sceptre (mon voyage actuel n’a pas d’autre but) ; j’y planterai de nouveau l’étendard de l’antique Nuit. À vous tous les avantages, à moi la vengeance ! »

Ainsi Satan. Ainsi le vieil anarque, avec une voix chevrotante et un visage décomposé, lui répondit :