Page:Mirbeau - Esthétique théâtrale, paru dans l’Écho de Paris, 16 juin 1891.djvu/4

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en voilà de la psychologie, il me semble !… C’est charmant, c’est délicat, c’est profond !… Et c’est taillé en pleine chair humaine… Réjane, là-dedans, hein ?… qu’en dites-vous ?… Je parie que vous avez pensé à elle ?

L’auteur

Je n’y aurais peut-être pas pensé… mais, en effet, ce serait…

Le directeur

Épatant, mon chéri… Ce serait épatant… Seulement, voilà, je ne peux pas vous jouer.

L’auteur (interloqué)

Ah !

Le directeur

Je ne peux pas vous jouer, et vous allez comprendre pourquoi, tout de suite !… Si je n’écoutais que mes goûts, parbleu !… l’affaire irait toute seule… J’aime les jeunes, les chercheurs, les audacieux… Votre pièce me plairait infiniment à monter… Le trois, surtout, si moderne, si cruel… Je vois le décor ! Non, ce que je le vois, le décor !… Et la mise en scène ! (Il fait de larges gestes, semble gouverner des foules, manier des mondes.) — Antoine nous embête avec ses foules… Il s’imagine qu’il n’y a que lui… Eh bien, vous auriez vu, chez moi, ce que c’est qu’une foule au théâtre, qu’une bagarre de foule !… Et vous verriez Réjane dans le rôle d’Agnès… Ce serait épatant !… Malheureusement, c’est impossible… Je suis désolé, mais c’est impossible !