Page:Mirbeau - L’Épidémie.djvu/34

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TOUS

Parlez ! parlez donc !

LE MAIRE

Messieurs ! (Il laisse retomber la lettre sur la table.) Un bourgeois est mort !

LE MEMBRE DE L’OPPOSITION

Qu’est-ce que vous dites !

LE MAIRE

Un bourgeois est mort… emporté par l’épidémie !

QUELQUES VOIX, étranglées par la peur.

Ce n’est pas possible ! ce n’est pas possible !

LE DOCTEUR TRICEPS

Ne touchez pas à cette lettre !… Brûlez cette lettre !… Elle n’est peut-être pas désinfectée… (Il se précipite… s’empare vivement de la lettre et la lance dans la cheminée. Puis, tirant de sa poche un vaporisateur, à grands pas il fait le tour de la pièce.) Désinfectons, Messieurs, désinfectons ! (Et tandis qu’une épouvante plane au-dessus des conseillers, subitement immobiles et convulsés, le maire, d’une voix qui pleure et qui tremble, poursuit dans le silence mortuaire de la salle.)

LE MAIRE

Nous ignorons son nom… qu’importe ? Nous connaissons son âme ! Messieurs, c’était un bourgeois vénérable, gras, rose, heureux !… Son ventre faisait envie aux pauvres… Chaque jour, à heure fixe, il se promenait, souriant, sur le cours, et sa face réjouie… son triple menton… ses mains potelées étaient pour chacun un vivant enseignement social… Il semblait qu’il ne dût jamais mourir, et pourtant il est mort !… Un bourgeois est mort !…