Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/10

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Victoire vint desservir, tournant autour de la table, les manches de sa robe retroussées jusqu’au coude ; quand elle fut partie, mon père répéta, accentuant son interrogation :

— Mais, qu’a-t-il pu fabriquer à Paris ?… pendant six ans… sans donner de ses nouvelles, jamais ?… Un prêtre !… C’est bien curieux !… Ça me chiffonne de le savoir.

Je compris qu’il s’agissait de mon oncle, l’abbé Jules. Le matin, mon père avait reçu une lettre de lui, annonçant son très prochain retour. La lettre était brève, ne contenait aucune explication. On y eût vainement cherché une émotion, une tendresse, une excuse de ses longs oublis. Il revenait à Viantais, et se bornait à en informer son frère, par une lettre semblable aux lettres d’avis que les fournisseurs envoient à leurs clients. Mon père avait même remarqué que l’écriture en était plus hargneuse que jamais.

Pour la troisième fois, il s’écria :

— Mais qu’a-t-il pu fabriquer à Paris ?…

Ma mère, le buste droit devant la table, raide, les bras croisés, l’œil vague, hochait la tête. Elle avait une expression de dureté conventuelle, qu’exagérait encore sa robe de sergé noir, plate, sans un ornement, sans une blancheur de lingerie au col et aux poignets.

— Un original de son espèce ! fit-elle… Sûr que ça n’est pas très édifiant !

Et, après un silence, d’une voix sèche, elle ajouta :