Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/143

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ment, l’orgie légale… En bas, la bête affamée qui hurle, impatiente de sang… Partout, la déroute, l’affolement, le vertige du sauve-qui-peut !… Des générations abominables se préparent qui, si l’on n’y met bon ordre, iront déclouer, sur les calvaires, le corps du Christ, et transformeront en banques, ou bien en lieux de débauche, nos églises découronnées du symbole rédempteur… Vous avez charge d’âmes… Et les âmes ont besoin d’être soutenues dans la foi, encouragées dans la lutte, rassurées dans le danger… Il n’est pas bon qu’on se désintéresse de leur destinée morale… Et c’est une désertion, dont Dieu vous demandera compte, que de parler de paix et de concorde, quand la guerre est déclarée, que l’ennemi est sur nous et qu’il nous harcèle !… Voilà ce qu’on dit dans le monde catholique !… On dit encore…

— Mais, sapristi ! je ne vois pas ça du tout ! interrompit l’évêque qui avait écouté, bouche béante d’étonnement, la violente sortie de l’abbé… Ces gens-là sont fous !… De tout temps, il y a eu des braves gens et des mauvaises gens… Il en sera toujours ainsi… Que puis-je faire à cela ?… Ce n’est pas moi qui ai créé le monde… Voyons, dites-moi, ai-je créé le monde ?…

Jules poursuivit d’une voix plus âpre et mordante.

— Je ne juge pas, Monseigneur, je répète… On dit encore que cela peut être agréable de vivre dans un palais, d’y être bien nourri, bien vêtu, bien au chaud, de cultiver des fleurs, de rimer des vers badins, de recevoir des hommages et de bénir des passants ; on