Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/158

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envies furieuses de se lever, de lancer sa soutane à la tête de tous ces gens.

L’usage voulait qu’au dessert, le grand vicaire, parlant au nom des diocésains, adressât une petite allocution à l’évêque. Il était sentimental et prétentieux, ne ménageait pas l’éloge et savait pleurer aux endroits convenables. Le moment venu, il quitta sa chaise, se tamponna les lèvres avec son mouchoir, toussa trois fois, ainsi qu’il faut faire, et les convives attentifs tournèrent vers lui leurs regards luisants. Il commença dans un silence auguste :

« Monseigneur,

« Dans ce jour béni entre tous, où les enfants de la sainte Église catholique, apostolique et romaine, ces enfants que vous guidez, avec une si paternelle sollicitude, avec un dévouement si admirable, dans les voies sacrées de la religion, dont Bossuet a pu dire… »

Mais il fut soudainement interrompu. L’abbé s’était dressé, debout, le corps penché au-dessus de la table, et tendant son poing vers le grand vicaire :

— Taisez-vous ! cria-t-il… Pourquoi parlez-vous ?… De quel droit ?… Au nom de qui ?

Le grand vicaire resta pétrifié dans la pose qu’il avait prise, et dans le geste commencé. L’évêque, très pâle, s’affaissa sur son siège. Un des assistants, s’étant violemment retourné, fit choir une bouteille de vin qui se brisa sur le parquet. Et tous tordaient leurs mentons grimaçants vers l’abbé qui, d’une voix vibrante, répéta :