Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/199

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n’osais lever les yeux dans la crainte de rencontrer ceux de mon oncle. Celui-ci se tassait, croisant les pans de sa douillette sur ses genoux. Alors, ma mère lui tendit un bout de la courtepointe. Il l’examina à l’envers, puis à l’endroit, parut étonné, et s’en enveloppa, sans prononcer une parole de remercîment. Et la voiture roula de nouveau. Ma mère avait repris son visage impassible et dur ; mon père était très gêné, ne savait que dire. Pourtant, il s’enhardit :

— Tu as fait un bon voyage ? demanda-t-il timidement.

— Oui, grogna l’abbé.

Il y eut un silence pénible, que personne n’était disposé à rompre. L’abbé cherchait à voir la campagne par l’étroit carreau de la portière, mais la buée brouillait les objets au dehors. Il rabaissa la glace, d’un geste si brusque, qu’elle se brisa, et que mille petits morceaux de verre tombèrent sur nous.

— Ça ne fait rien !… ça ne fait rien !… déclara mon père, qui croyait sans doute amadouer le terrible Jules par sa magnanimité.

Et il ajouta en souriant :

— D’abord, le verre cassé, ça porte bonheur !

Mon oncle ne répondit pas. Le corps légèrement incliné en avant, il regardait la campagne.

De Coulanges à Viantais, la route est charmante. Durant tout le parcours, elle côtoie la vallée, un large espace de verdures nuancées, où coule la Cloche, rivière sinueuse qu’égaient, çà et là, de vieux moulins. Débordée ce jour-là, elle couvrait des parties de prai-