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point ce système de pédagogie, et s’inquiétaient fort de l’avenir qu’il me réservait. Ils ne songèrent point, pour cela, un seul instant, à m’arracher des mains de cet étrange professeur, encore moins à lui adresser la plus légère observation. « J’étais dans la place », avait dit ma mère, je veillais au trésor, je contre-balançais l’influence du cousin Debray. Et puis, moi aussi, j’entrais dans la bibliothèque. Ces avantages compensaient cet inconvénient. On verrait plus tard à réparer le mal. Loin de paraître fâchés, ils s’acharnaient, au contraire, par des phrases insidieuses qu’ils me faisaient apprendre et que j’étais chargé de répéter, par une suite de petites attentions délicates et détournées, à la conquête de l’abbé. Bien souvent, les clients de mon père nous offraient des cadeaux ; c’étaient de belles volailles grasses, des lièvres, des bécasses, des truites. Je les portais aux Capucins, les déposais à la cuisine, avec discrétion ; mais mon oncle ne me remerciait pas, ne m’en parlait jamais, et les mangeait d’un air satisfait. Même, lorsqu’en allant à « mes leçons », je le rencontrais, soit dans l’allée, soit dans la cour, son premier coup d’œil était pour mes mains : « M’apportes-tu quelque chose ? », semblait-il me demander.

Ma mère, elle, était vexée de ce silence. Et, tout en me remettant un petit panier, qui contenait quatre pots de confitures de fraises, dont mon oncle était très friand :

— C’est égal ! bougonnait-elle… Il pourrait remercier, l’impoli !