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que ma mère les yeux très vagues, un pli dur au front, murmurait :

— Et si nous avions inutilement sacrifié l’éducation d’Albert ?…

— Ah ! dame !… Te l’ai-je assez dit ?… Eh bien ! il faut l’envoyer au collège !

Elle réfléchit quelques minutes.

— Attendons encore ! fit-elle.

Mon père déplia son journal, se cala fortement au fond de son siège.

— Attendons ! fit-il.

Un silence descendit sur nous, atroce, pesant comme un couvercle de sépulcre. De l’ombre qui planait au plafond, qui frissonnait aux murs, semblait tomber l’épouvante du Meurtre.


Mon oncle était réellement malade, déclinait chaque jour, un peu plus. Il avait des battements de cœur, des étouffements qui le forçaient à rester, des nuits entières, à la fenêtre ouverte de sa chambre, les flancs haletants, la gorge étranglée. Pour éloigner de sa pensée l’image de la mort, il ne voulait point consulter un médecin, ni rien changer à son régime, à ses habitudes. Il allait, venait, travaillait dans sa bibliothèque, s’enfermait plus fréquemment dans la chambre avec la malle ; ses yeux gardaient leur éclat étrange, et son corps, bosselé d’exostoses par un amaigrissement continu, se cassait en deux. La seule concession qu’il fit à la maladie, ce fut de ne célébrer sa messe qu’une