Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/276

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— Sais-tu ce qu’ils font ?… me demanda mon oncle, tout à coup.

— Non, mon oncle, je ne sais pas.

— Eh bien ! ils font l’amour… Cela te paraît simple, court et gentil, n’est-ce pas ?… C’est que les bêtes sont de braves êtres honnêtement organisés, et qui savent la valeur des choses, n’ayant jamais eu ni philosophes, ni savants pour la leur expliquer… Tiens, les voilà partis !… Ils n’ont pas de remords, eux !…

Et s’arrêtant à chaque phrase, afin de respirer — car il soufflait beaucoup, en ce moment — il me dit :

— Nous, qui ne sommes pas des bêtes, par malheur, nous faisons l’amour autrement… Au lieu de conserver à l’amour le caractère qu’il doit avoir dans la nature, le caractère d’un acte régulier, tranquille et noble… le caractère d’une fonction organique, enfin… nous y avons introduit le rêve… le rêve nous a apporté l’inassouvi… et l’inassouvi, la débauche. Car la débauche, ce n’est pas autre chose que la déformation de l’amour naturel, par l’idéal… Les religions — la religion catholique, surtout — se sont faites les grandes entremetteuses de l’amour… Sous prétexte d’en adoucir le côté brutal — qui est le seul héroïque, — elles en ont développé le côté pervers et malsain, par la sensualité des musiques et des parfums, par le mysticisme des prières et l’onanisme moral des adorations… comprends-tu ?… Elles savaient ce qu’elles faisaient, va, ces courtisanes ! Elles savaient que c’était le meilleur et le plus sûr moyen d’abrutir l’homme,