Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/310

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d’une brusque étreinte impudique, dont elle avait eu une fois beaucoup de peine à se dégager. L’abbé l’avait prise à la taille, l’avait attirée brutalement vers lui, et elle avait senti sur les lèvres l’haleine empestée et brûlante du fiévreux. Ce dimanche-là, il n’y avait pas une demi-heure que nous étions seuls, dans la chambre, Madeleine et moi, quand l’abbé, rejetant loin de lui draps et couvertures, se dressa devant nous, tout à coup, en une posture infâme ; puis, avant qu’il nous eût été possible de l’en empêcher, il quitta le lit, et, trébuchant sur ses longues jambes décharnées, la chemise levée, le ventre nu, il alla se blottir en un coin de la pièce. Ce fut une scène atroce, intraduisible en son épouvantante horreur… Ses désirs charnels, tantôt comprimés et vaincus, tantôt exacerbés et décuplés par les phantasmes d’une cérébralité jamais assouvie, jaillissaient de tout son être, vidaient ses veines, ses moelles, de leurs laves accumulées. C’était comme le vomissement de la passion dont son corps avait été torturé, toujours… La tête contre le mur, les genoux ployés, les flancs secoués de ruts, il ouvrait et refermait ses mains, comme sur des nudités impures vautrées sous lui : des croupes levées, des seins tendus, des ventres pollués… Poussant des cris rauques, des rugissements d’affreuse volupté, il simulait d’effroyables fornications, d’effroyables luxures, où l’idée de l’amour se mêlait à l’idée du sang ; où la fureur de l’étreinte se doublait de la fureur du meurtre. Il se croyait Tibère, Néron, Caligula.