Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/54

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au milieu de vous que j’ai vécu cette vie mauvaise, que j’ai grandi, dans le doute, dans la révolte et dans la luxure. C’est au milieu de vous, qui fûtes les témoins attristés de mes déplorables années, que je veux me frapper la poitrine. Au scandale public, il faut la publique humiliation. Cela est bon, cela est juste, cela est chrétien. Ce n’est point assez que le repentir habite les solitudes muettes de la conscience. Écoutez-moi : j’ai renié Dieu, et j’ai blasphémé son saint nom ; j’ai insulté aux douleurs du Christ, et j’ai outragé le ventre radieux, neuf fois immaculé, de la vierge Marie. J’ai méprisé ma mère, la créature sacrée dont je suis né, et j’ai haï les hommes, mes frères douloureux. J’ai menti, j’ai volé, j’ai repoussé du pied les infirmes et les pauvres, ces mélancoliques élus du ciel. Rêvant de criminels attentats, et la chair brûlée de concupiscences monstrueuses, sans remords, sans hésitation, je me suis approché de la Sainte Table, et j’ai donné au doux corps du Sauveur le lit fangeux d’une âme sacrilège… Enfin, j’ai désiré la femme de mon prochain, j’ai soufflé la débauche au cœur des jeunes filles, et, dans les champs, sous l’infini regard de Dieu, comme un bouc immonde, j’ai forniqué…

Il prononça ce dernier mot d’une voix forte et vibrante, et il se fit dans l’église un long chuchotement que dominèrent bientôt des bruits de chaises pudiquement remuées, des « hum ! hum ! » de toux effarées, se répondant d’un bout de la nef à l’autre. Le curé fut secoué au fond de sa stalle, comme par la commotion