Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/66

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un vent soufflait de là qui passait, chargé d’aigres colères, sur le diocèse tout entier, et secouait furieusement les pauvres presbytères de village que la paix n’habitait plus. Partout, la dénonciation régnait en souveraine ; chacun se sentait menacé, espionné, trahi ; et si, tout le jour, par les portes grinçantes de l’évêché, se croisaient des vols effarés de soutanes, l’on rencontrait aussi, dans les chemins, au long des haies, des dos tremblants et furtifs d’ecclésiastiques, de noires silhouettes soupçonneuses, qui avaient l’air de bêtes traquées. Comble de la stupéfaction, le portier lui-même, le portier connu pour ses manières patelines et sa mielleuse obséquiosité, le portier qui renseignait les visiteurs, aussi pieusement qu’il eût servi la messe, le portier avait pris des allures hargneuses de chien de garde, et montrait les dents.

— Fut !… Fut !… disait-il, grognant et revêche… Vous demandez M. l’abbé ?… Il est occupé… Adressez-vous, fut ! fut !… adressez-vous au valet de chambre… Suis-je portier, oui ou non, suis-je portier ?… Hein ?… quoi ?… Eh bien, alors !… Fut ! fut !

On avait même remarqué que sa calotte de velours noir qu’il se campait maintenant sur l’oreille était singulièrement tirebouchonnée et menaçante, et qu’en marchant, sa longue redingote crasseuse s’enflait d’une façon hostile.

Entre gens d’église, depuis le sacristain le plus humble jusqu’au plus glorieux suisse, depuis le plus insignifiant vicaire jusqu’au doyen le plus inamovible,