Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/78

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vie nouvelle, une vie de tranquillité, de concorde, d’amour, allait enfin renaître.

— Vous chasser, mon enfant ?… Eh ! mon Dieu ! pour quelques vivacités, pour quelques ardeurs de caractère, bien pardonnables, à votre âge !… Vous êtes vif, c’est-à-dire que vous êtes jeune… Allons, allons, ne voilà-t-il pas un grand crime ?… Moi, je suis un vieillard, j’ai des manies, des lubies, et ce n’est pas toujours commode de vivre avec les vieilles gens, je m’en rends compte !… Mais j’ai eu autrefois de grands chagrins, de grandes tristesses !… Dieu seul connaît ces chagrins et ces tristesses !… Je serais si heureux qu’on m’aimât un peu !

Il s’abandonnait ; sa voix se faisait plus confiante.

— Vous me voyez souvent inquiet, distrait, un peu drôle, n’est-ce pas ?… Oui… C’est que je crains de ne pas être aimé, aimé de personne, de vous, surtout, mon cher enfant !… Et cela me fait souffrir… D’ailleurs, pourquoi m’aimerait-on ?… Je suis vieux, triste… Je ne sais pas dire une bonne parole à ceux qui m’entourent… Je sens que je gêne, que je glace tout le monde, moi qui voudrais tant que tout le monde eût de la joie autour de moi !

— Vous êtes un saint ! clamait Jules, dont l’exaltation se manifestait par une suite de gestes incohérents et d’affreuses grimaces.

— Non, non ! se défendait l’évêque, un peu effrayé… Non, je ne suis pas un saint… Ne dites jamais que je suis un saint… Je ne suis rien… Prions, mon enfant,