Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/85

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— Et s’il le faut, se promit-il encore, je lui donnerai davantage… je lui donnerai tout… Ou bien, je lui enfoncerai du foin dans la bouche…

— Viens ici ! dit-il.

La fille ne bougea pas.

— Viens donc ici ! répéta l’abbé.

Sa voix haletait, devenait rauque ; une étrange fureur de passion lui poussait les bras en avant, tordait ses mains, précipitait toute sa chair vers il ne savait quel crime absurde et fatal. La faucille luisait sur l’herbe, près de lui ; il eut l’idée de s’en saisir, de frapper. Ce qui lui restait de raison s’en allait dans le vertige. Il n’eût pu dire à quelle incoercible folie il obéissait, lequel était en lui, du meurtre ou de l’amour. Quelques nuées, de formes bizarres et changeantes, flottaient au ciel, rouges des suprêmes lueurs du couchant, et il lui sembla que c’étaient des sexes monstrueux qui se cherchaient, s’accouplaient, se déchiraient dans du sang. Pour la troisième fois, il répéta, les lèvres sifflantes de menace :

— Viens donc ici !

La fille ne bougea pas. Stupide, les yeux hébétés, elle considérait cet homme grand, ce prêtre hideux, ce diable tout noir devant elle.

Et, brusquement, comme une bête qui fonce sur une proie, il se rua sur elle. Au risque de l’étrangler, d’un tour de bras, il lui serra le col et, de la main restée libre, il lui empoigna les seins, qu’il labourait, qu’il tenaillait, qu’il écrasait avec rage dans une atroce