Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courte lutte, avait roulé à terre. Il regardait, sans la voir, la silhouette de la paysanne qui s’abaissa, se noya, se confondit toute avec le sombre du terrain, et il écoutait, sans l’entendre, la brouette qui dansa sur les ressauts de la sente, et fit, en s’éloignant, un bruit lointain de tambour. Et ce fut le silence, tout autour de lui, et ce fut la nuit, une inquiétante nuit, profonde et sans lune, une nuit qui entrait dans son âme et qui renvoyait, sur la pâle lumière du ciel occidental, avec le mystère grandissant de ses ténèbres, à elle, les grimaçantes et vengeresses images de ses remords à lui et de ses terreurs. En proie à une immense horreur de soi-même, l’abbé joignit les mains comme pour une prière, se laissa tomber sur le sol, dans un grand geste d’accablement, et, longtemps, longtemps, il pleura.

Pendant plus d’une heure il resta là, sans bouger, sans penser, la tête lourde, les membres rompus, les idées en déroute, si complètement anéanti qu’il ne se rappelait pas, avec netteté, ce qui s’était passé. De ce moment de folie, de cette minute de crime, il ne gardait que la sensation d’un vague et pénible dégoût, d’un écrasement de tout son être physique et moral. Il était ainsi que dans un rêve de fièvre, où les choses se succèdent, incohérentes, ironiques et douloureuses. Malgré lui, l’impure obsession de la femme revenait, s’associait à sa honte, et, avec un involontaire tressaillement de ses muscles, avec une vibration suprême de ses moelles, il la retrouvait en lui, autour de lui,