Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/91

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couloirs silencieux, les travaux champêtres, les courts et paisibles sommeils sur les planches nues, les interminables nuits de prières, et ce petit cimetière sans arbres, avec ses croix blanches si fraternellement rapprochées l’une de l’autre, et ce grand étang, où les roseaux chantent, et où il avait autrefois, gamin maraudeur, pêché des gardons à la barbe des moines… À ces projets, à ces visions, à ces souvenirs, qui lui coulaient dans l’âme une douceur, l’abbé s’attendrissait ; et s’attendrissant, il se trouvait le plus malheureux des hommes. Ce qui le désolait surtout, c’était d’être seul, en la détresse infinie de son cœur. Il eût souhaité que quelqu’un fût là, près de lui, quelqu’un comme François d’Assise, et que ce quelqu’un lui parlât doucement, tendrement, d’une voix de saint, avec des mots sublimes et consolants, qui ouvrent le paradis. Il songea à son évêque, et son évêque lui sembla une sorte de providence, un être merveilleux dont les mains sont pleines de bénédictions ; il fut ému en évoquant son visage triste et son dos de martyr. Pourquoi n’irait-il pas se jeter à ses pieds ? Il lui avouerait tout ; il lui dirait toute sa vie, avec des accents déchirants de repentir qui le feraient pleurer. Et l’évêque lui parlerait, le bercerait, l’endormirait. Dans ces moments, l’abbé Jules retrouvait la naïveté, la confiance, la promptitude de résolution d’un petit enfant ; il croyait à la bonté, à la charité universelles. Il prit la lampe, plus léger, descendit l’escalier, radieux, frappa à la porte de l’évêque, enthousiaste.