Page:Mirbeau - L’Ordure, paru dans le Gaulois, 13 avril 1883.djvu/5

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Ce livre n’est point un cas isolé. Si j’y ai fait plus spécialement allusion, c’est qu’il est, je crois, le plus récent. À vrai dire, il ne se montre ni plus bête ni plus ordurier que la plupart de ceux que nous voyons recommandés par les journaux honnêtes : il l’est autant. Comme les autres il se traîne dans les mêmes pourritures et s’embourbe dans les mêmes fanges. Il n’a même pas la hardiesse d’exalter une dépravation spéciale, le mérite d’exhaler une odeur inconnue. Ce sont choses courantes et banales, que celles qu’il nous débite, en un style de cabaret, en un argot de cabinet de toilette. Cela est pris à la même cuvette d’eau sale où tout le monde s’est lavé.

D’ailleurs, à quoi bon nous étonner, quand nous voyons aujourd’hui effrontément et librement s’étaler, chez tous les marchands de livres, les obscénités qui se cachaient jadis en Belgique, et qui viennent, couverture à couverture, fraterniser avec les nôtres, avec des sourires engageants et des provocations tolérées ?

L’ordure, voilà l’idéal cherché et atteint du moment ! La prostitution n’opère plus seulement sur nos trottoirs et dans les ghettos spéciaux ; elle envahit notre littérature et pénètre ainsi, sous une forme nouvelle, dans des places d’où on l’avait chassée ! Les librairies deviennent d’immenses maisons de tolérance et de proxénétisme, où tous les vices trouvent leur satisfaction à bon marché. La confusion est si grande qu’on ne reconnaît plus ce qui est beau de ce qui est laid, qu’on ne fait plus de différence entre l’art et l’ordure. On prend dans le tas : l’Évangéliste et Charlot s’amuse, Criquette et le Pistolet de la Baronne, Une Vie et le Sup-