Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/159

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brouillé dans ma mémoire aujourd’hui, et je serais fort en peine s’il me fallait conter tous les prodiges qu’on lui doit.

La cathédrale diocésaine gardait précieusement, enfermés dans un reliquaire de bronze doré, quelques restes authentiques et poussiéreux de ce magique saint Latuin : une dent, entre autres, et des fragments de tibias menus, menus comme des allumettes. Son culte, entretenu dans les âmes par les savantes exégèses et les miraculeuses anecdotes de notre bon curé, était très en honneur chez nous. Malheureusement, la paroisse ne possédait de son aimé patron qu’une grossière et vague image de plâtre, indécemment délabrée et tellement insuffisante et si authentiquement apocryphe, que les vieux du pays se rappelaient l’avoir connue, dans leur jeunesse, pour figurer tour à tour et selon les besoins de l’actualité liturgique, les traits de saint Pierre, de saint Fiacre et de saint Roch. Ces successifs avatars manquaient vraiment de dignité et servaient de thème aux irrespectueuses plaisanteries des ennemis de la foi.

Cela navrait le bon curé, qui ne savait comment remédier à une situation causée, non point par l’indifférence des fidèles, mais par la pauvreté des ressources paroissiales. À force de démarches et d’éloquentes prières, le curé