Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/188

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bleu, au-dessus d’eux… ni la montagne… toute fleurie d’euphorbes et de marjolaines devant eux… ni le petit bois d’oliviers, dont une brise douce faisait doucement frémir et retroussait, dans un joli mouvement aérien, les feuilles argentées… Ils ne disaient rien, ne regardaient rien, ne voyaient rien… Et ils continuaient de marcher du même pas lent et lourd, sans penser à rien, sinon, sans doute, que c’était jour de fête… et qu’ils s’amusaient… et qu’ils allaient s’amuser ainsi, toute cette longue journée de repos et de joie…

Enfin, le train partit…

Les deux employés le regardèrent partir d’un œil morne. La machine soufflait, haletait, toussait, d’une toux rauque de pulmonique. Elle montait lentement, lentement, avec des plaintes, avec un air de souffrir et de s’époumonner… Après quelques minutes, je me penchai à la portière du wagon et regardai, en arrière, vers la gare que nous venions de quitter… Les deux employés étaient là, immobiles, au même endroit, et ils regardaient monter la machine…

Nous rentrâmes le soir, à cinq heures…

Les deux employés étaient toujours là, à leur poste, les bras plus veules, les reins plus tassés, l’expression du visage encore plus inexpressive…