Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/209

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toujours fermés à la lumière, j’avais la sensation du repos éternel, dans un cercueil. Mais la chair repousse vite aux blessures des enfants ; les os fracturés se ressoudent d’eux-mêmes ; les jeunes organes se remettent promptement des secousses qui les ont ébranlés ; la vie a bien vite fait de rompre les obstacles qui arrêtent un moment le torrent de ses sèves. Je repris des forces, et, avec les forces revenues, peu à peu, je redevins la proie de l’éducation familiale, avec tout ce qu’elle comporte de déformations sentimentales, de lésions irréductibles et d’extravagantes vanités.

Alors, tous les jours, à toutes les minutes, j’entendis mes parents, à propos de choses que j’avais faites ou que je n’avais pas faites, dire sur un ton, tantôt irrité, tantôt compatissant : « C’est désolant !… Il ne comprend rien !… Il ne comprendra jamais rien… Quel affreux malheur pour nous que cette méningite ! » Et ils regardaient avec effroi, mais sans oser me les reprocher — car c’étaient d’honnêtes gens, selon la loi, — les morceaux que je dévorais avidement, dans le silence des repas, dont ils savaient très bien qu’ils ne seraient pas payés.

Loin que ma sensibilité eût été diminuée par le mal qui avait si intimement atteint mes moelles, elle se développa encore, s’exagéra jusqu’à devenir use sorte de trépidation ner-