Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/217

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l’adjudant de cuirassiers, parti pour une garnison lointaine, avait succédé un adjudant de dragons, lequel fut à son tour remplacé par un autre adjudant de je ne sais plus quelle arme. Décidément, ma pauvre cousine ne montait pas en grade.

Et, un soir d’hiver, je me souviens, un soir de pluie battante, l’omnibus de l’hôtel s’arrêta devant la grille, chargé de malles et de paquets. Ma cousine en descendit, secoua la sonnette furieusement, et au milieu des ébahissements, des exclamations de toute la maisonnée mise en branle, elle entra, vive et nerveuse comme autrefois, mais encore plus maigre, plus voûtée, plus couperosée. Elle dit simplement :

— C’est moi !… Je reviens… Voilà…

— As-tu tes meubles ? demanda ma mère…

— Oui, j’ai mes meubles ! répondit ma cousine… J’ai tout… Je reviens… Voilà !

Et la vie recommença comme par le passé…

Ma cousine m’avait trouvé changé et grandi.

— Mais tu es très joli… Tu es un homme… Un vrai homme, maintenant… Approche un peu que je te voie mieux.

Elle m’examina, me tâta les bras, les mollets.

— Un amour d’homme, un amour de petit homme ! conclut-elle, en m’embrassant à me briser la poitrine, contre sa sèche et dure carcasse de vieille folle.