Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/22

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— Oui, toi… Je n’ose pas… et puis je suis blessé : il m’a cassé le bras, cet animal-là.

À quatre pattes, comme un loup, Milord se dirigea vers le cadavre, se pencha sur lui…

— Il est ben mô… dit-il. Quoi qu’ j’allons en faire ?… Sacré Barjeot, va !

Et, par un instinct de voleur, l’ayant palpé, il fouilla dans les poches du garde…

Barjeot regardait Milord, perplexe, la main droite sur la crosse de son revolver.

Au petit jour, une charrette descendait la Grande-Rue, conduite par un paysan. Barjeot marchait derrière, l’uniforme taché de sang poisseux, sur lequel des feuilles mortes s’étaient collées ; le bras soutenu, au milieu de la poitrine, par un mouchoir à carreaux. Au fond de la charrette, sous une bâche de toile tannée, on distinguait la forme rigide de deux cadavres. Les portes s’ouvraient : les gens, à peine réveillés, sortaient de chez eux, et les hommes mi-vêtus, les femmes en camisole, les chiens rôdeurs, se mirent à suivre la funèbre voiture, silencieux, terrifiés…

Je venais de relever des lignes de fond, quand, près de la gendarmerie, j’aperçus une grande foule… Je m’approchai…