Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/224

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avec ma cousine ; d’un autre côté, je n’avais jamais rien lu, car on me cachait tous les livres, de peur qu’ils ne me pervertissent ; je n’avais, non plus, jamais vu une seule image de nudité, car les tableaux, les gravures, qui ornaient les murs de la maison, ne reproduisaient que des chiens, des fruits, des oiseaux, un moulin au bord d’une rivière, des saints et des bonnes Vierges. Ma vie avait été préservée de tout contact avec des camarades, dont je n’avais pu recevoir de confidences, ni aucun éclaircissement sur des questions qui ne me préoccupaient pas, d’ailleurs. J’acceptais, avec une bonne grâce passive, que les enfants naquissent spontanément, dans les jardins, sous les choux. Les oiseaux sur les branches, au printemps, les coqs dans la basse-cour, les chiens rencontrés, dans les rues, en d’étranges postures, les insectes accouplés dans l’herbe, rien, dans ce rapprochement incessant des formes vivantes dans lesquelles je vivais, n’avait pu troubler l’impassible sérénité de mon âme, ignorante et pure comme une petite étoile du ciel. Et voilà que, maintenant, pour avoir été effleuré par les mains et par la bouche d’une femme laide et vieille, pour avoir senti sur ma peau la peau eczémateuse d’une femelle en folie, je m’épuisais en de continuelles imaginations, dont l’impudeur ingénue et la naïveté luxurieuse