Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/280

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ment aigre de la plume qui traçait des chiffres. À la fin, mes nerfs se détendirent, et je fondis en larmes.

Au bruit de sanglots que je ne parvenais pas à étouffer complètement dans l’oreiller, Jeanne, sans détourner la tête, me demanda :

— Qu’avez-vous ?… Vous pleurez ?

— Non ! répondis-je.

— Comme vous voudrez ! fit-elle.

Et elle se remit à écrire.

VIII

J’aurais peut-être accepté l’infamie de cette existence monstrueusement égoïste, de cette criminelle et abjecte existence, si contraire à tous mes besoins d’expansion, à tous mes désirs d’unité morale, à toutes mes idées de sociabilité et d’harmonie ; peut-être me serais-je résigné à ces écroulements de mes rêves, et, l’habitude aidant, peut-être serais-je arrivé à n’en pas souffrir, si j’avais trouvé dans la libre possession physique de ma femme une compensation à ces continuels renoncements, et, comment dirais-je cela ? une sorte de récompense pour tout ce que je lui abandonnais lâchement, pour tout ce que je lui sacrifiais honteusement de ma personnalité, de ma conscience, de ma