Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/50

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villes, malades et infirmes, paralytiques, culs-de-jatte et pieds-bots accouraient dans des carrioles, dans des calèches, sur des ânes, sur leurs moignons calleux. Des files d’êtres blêmes, rongés par des plaies hideuses, contrefaits, sans membres, s’allongeaient sur les routes, se bousculaient sur la place de Trélotte, s’entassaient sous la tente, autour du sorcier. Le sorcier imposait les mains sur les malades ; les malades donnaient une gifle au sorcier, et ils s’en retournaient guéris. Cela coûtait deux sous.

Notre Rabalan, lui, malgré toute la gloire de ses aïeux, n’avait aucun goût pour la sorcellerie ; il en ignorait même les pratiques fondamentales. C’était un pauvre diable, faible, timide, à moitié idiot, et qui aimait à parler aux bêtes. Il eût désiré être berger, mais aucun n’avait consenti à lui confier son troupeau ; dans les fermes où il était venu demander de l’ouvrage, on l’avait chassé. Il avait mendié, mais personne ne lui donnait rien. Rabalan serait évidemment mort de faim, si l’administration des ponts et chaussées ne l’eût employé à casser des pierres dans le bois de Pied-Fontaine, qui est un bois communal, où il y a beaucoup plus de cailloux que d’arbres. Quoiqu’il fût plus inoffensif qu’un mouton, on le redoutait beaucoup à Trélotte, plus qu’aucun