Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/65

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son. Seul, au milieu des ténèbres opaques, un ver luisant luit, reflet égaré d’une inaccessible étoile… Et voilà qu’une forme, plus noire que le noir de la terre, apparaît, s’avance, puis deux formes, noires également, qui la suivent. Bientôt les trois formes réunies ne font plus qu’une masse, étrangement agitée, qui tour à tour s’étend, se rétrécit, s’allonge, se découpe en profils de figures humaines, de bras levés, de mains tordues, d’angles sinistres semblables à des échines repliées, et de la masse mystérieuse partent des jurements, des bruits rauques de voix étranglées, et un cri désespéré, un appel affolé de victime qu’a immédiatement précédé quelque chose de sourd, comme la chute d’un corps sur le sol…

— Pèses-y sur l’ ventre ! Ah ! la mâtine ! comme a s’ débat !

C’est une voix de femme…

Et le cri reprend, plus douloureux.

— Mais, nom de Dieu ! arraches-y son fichu et fourre-lui dans la bouche, pour l’empêcher de gueuler !…

C’est une voix d’homme…

Le cri reprend encore, puis s’éteint brusquement en un petit râle…

Pendant quelques minutes, on n’entend que des coups furieux auxquels répondent des bruits mous de chairs écrasées et d’os broyés…