Aller au contenu

Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je veux bien… En vérité, je veux bien… Mais je n’ai plus de force dans les bras… Je suis si vieille !…

— Hé ! crois-tu donc qu’il s’agit de décharger des bateaux ?… Tu feras comme moi, comme ma femme, comme mes enfants… Tu iras dans les ateliers et tu poseras, voilà !…

Elle ne savait pas ce que c’était que d’aller dans les ateliers, et de poser, et quand son fils le lui eut expliqué :

— Bonne vierge ! cria-t-elle en joignant les mains, doux Jésus ! Tu veux que je me mette nue devant un homme, moi qui, jamais, ne me suis montrée telle à personne, pas même à ton père, je le jure sur la croix, pas même à ton père !

Pelletrini ricana ; cette confidence transformait sa colère en jovialité.

— Tu crains que ta vieille peau n’excite les messieurs, ah ! ah ! ah ! ta vieille peau !

— Mon fils !… mon fils !… Tu te moques !…

Elle était devenue toute rouge, gênée. Elle murmura d’un ton plus bas :

— Et puis, voyons, je suis trop vieille ! Personne ne voudra faire mon portrait ainsi.

— T’occupe pas de ça !… Il y en a qui aiment les vieilles carcasses comme la tienne. J’en connais…

— Non ! non ! tu es un mauvais enfant !…