Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/79

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Mais le modèle, irrité de nouveau, se mit à battre sa mère ; et, l’ayant battue, il menaça de la jeter dehors. Alors il fut convenu qu’elle irait dans les ateliers.

Je l’ai vue hier, la mère Rosa, chez un sculpteur de mes amis.

Quand j’entrai dans l’atelier, une très vieille femme, toute nue, assise sur la table à modèle, posait. C’était elle. Immobile ainsi qu’une statue, elle avait le dos voûté ; la tête, aux cheveux rudes et rares, penchée sur l’épaule droite, en un mouvement douloureux. Ses mains et une partie des avant-bras plongeaient entre les cuisses rapprochées, pour cacher le bas du ventre et jeter un voile d’ombre épaisse sur la nudité attristante du sexe. Et, sur les murs peints à la chaux, dans cette atmosphère de plâtre, parmi les moulages d’une blancheur froide, qui encombraient l’atelier, ces vieilles chairs meurtries paraissaient plus jaunes, avec des lumières plus vertes, et prenaient des tons lisses et la chaude patine d’un ivoire ancien. À cette vue, je ne pus me défendre d’une grande mélancolie, cette mélancolie si poignante qu’inspirèrent toujours la ruine des êtres et la mort des choses. Et je me dis, pensant à celles que j’ai ai-