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La folle


La Seine coule au bas de mon jardin, parsemée d’îles charmantes. Dans l’une de ces îles est une maison, ou plutôt une cabane, faite de planches goudronnées qui reluisent, sous le soleil, comme des planches de métal poli. Autour de la maison s’étend, à droite, une prairie bordée de hauts peupliers ; à gauche, une oseraie, véritable et inaccessible jungle, va s’amincissant comme la coque d’un navire de féerie, et finit en pointe d’éperon dans le fleuve. En ce sol d’alluvion, toujours frais, abondamment nourri de pourritures végétales, gorgé d’ordures fertilisantes que sans cesse, l’eau charrie et dépose, la végétation est extraordinaire. Les herbes prennent d’insolites proportions d’arbres ; les orties montent et s’embranchent ainsi que des hêtres ; les verbascums aux hampes jaunes, les consoudes aux pâles fleurs bleuâtres, y