Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/263

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cendres du souvenir. Ce n’était pas assez que Marie disparût de ma vie : il était nécessaire et expiatoire qu’elle disparût de la vie !

Mais comment faire ?

Le trou était là, tout noir, à jamais discret ; il était là, à quelques pas de nous. Les secrets qu’on lui confie, il ne les trahit pas. Les corps qu’on lui jette, ils n’en remontent pas. Et les bergeronnettes, qui sautillent de flaque en flaque, et les corbeaux qui vont, regagnant la forêt, ne racontent pas aux hommes les drames sanglants dont ils furent témoins. Et les paysans non plus, les paysans que j’avais rencontrés sur la route, ils ne disent jamais rien, par une admirable et obscure solidarité de criminels et de meurtriers. Si on les interrogeait jamais, leurs bouches resteraient closes et leurs yeux morts.

Marie, attendait toujours, les yeux perdus je ne sais où.

— Viens ! lui dis-je. Viens entendre la voix du petit bossu.

Droite et fixe, comme enveloppée d’extase, elle écarta les sarments emmêlés des ronces et des clématites, et elle s’approcha sur le bord du trou.

— Penche-toi un peu sur le trou !

Elle inclina son buste ; puis, lentement, avec des inflexions raides, elle s’agenouilla au bord