Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/109

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infiniment, découvrir le ridicule, et le fixer par un trait juste, inoubliable et féroce, que je me trouvais, vis-à-vis de lui, dans un état de perpétuelle méfiance, de constante inquiétude. Je me demandais toujours : « Que pense-t-il de moi ? quels sarcasmes dois-je lui inspirer ? » J’avais cette curiosité féminine, qui m’obsédait, de connaître son opinion sur moi ; j’essayais, par des allusions lointaines, par des coquetteries absurdes, par des détours hypocrites, de la surprendre ou de la provoquer, et je souffrais si Lirat se taisait, et je souffrais plus encore, s’il me jetait un compliment bref, comme on jette deux sous à un mendiant dont on désire se débarrasser ; du moins, je l’imaginais ainsi. En un mot, je l’aimais bien, je vous assure, je lui étais entièrement dévoué ; mais, dans cette affection et dans ce dévouement, il y avait une incertitude qui en rompait le charme ; il y avait aussi une rancune qui les rendait presque douloureux, la rancune de mon infériorité : jamais je n’ai pu, même au meilleur temps de notre intimité, vaincre ce sentiment de bas et timide orgueil, jamais je n’ai pu jouir en paix d’une liaison que j’estimais à son plus haut prix. Cependant, Lirat se montrait simple avec moi, affectueux souvent, quelquefois paternel, et, de ses très rares amis, j’étais le seul dont il recherchait la société.

Félicien Rops, Les Diaboliques

Comme tous les contempteurs de la tradition, comme tous ceux-là qui se rebellent contre les préjugés de l’éducation routinière, contre les formules