Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/122

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l’on n’a de respect que pour le succès, si charlatanesque qu’il soit ; que pour l’argent, de quelques sentines qu’il vienne ; où chaque parole dite m’est une blessure dans ce que j’aime le mieux, dans ce que j’admire le plus… D’ailleurs, l’homme n’est-il pas le même partout, avec des différences d’éducation qui s’accusent seulement dans les gestes, dans la manière de saluer, dans le plus ou moins de liberté d’allures !… Quoi, c’était cela, ces fiers artistes, ces admirables écrivains, dont on chante la gloire, dont on célèbre le génie… cela, ces êtres petits, vulgaires, affreusement cuistres, singeant les façons des mondains qu’ils raillent, d’une vanité burlesque, d’une jalousie féroce ; à plat ventre, eux aussi, devant l’argent ; adorant, les genoux dans la poussière, la Réclame, cette vieille gueuse, qu’ils hissent sur des peluches extravagantes… Oh ! que j’aime mieux les bouviers et leurs bœufs, les porchers et leurs porcs, oui, ces porcs, ronds, roses, qui s’en vont, fouillant la terre du groin, et dont le dos gras et lisse reflète le nuage qui passe !… J’ai lu énormément, sans discernement, sans méthode, et, de ces lectures dépareillées, il ne m’est resté dans l’esprit qu’un chaos de faits tronqués et d’idées incomplètes, au milieu duquel je ne saurais me débrouiller… J’ai tenté de m’instruire de toutes les façons, et je m’aperçois que je suis aussi ignorant aujourd’hui qu’autrefois… J’ai eu des maîtresses que j’ai aimées huit jours, des blondes sentimentales et romanesques, des brunes farouches, impatientes du baiser, et l’amour ne m’a montré que le vide effroyable