Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/128

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les jours, de cinq à sept… Et je vous donnerai les vieux pantalons de Charles.

— Et elle me lança sa capote de loutre à la figure.

Je m’étais dressé sur mon lit… Les yeux hébétés, la poitrine sifflante, je regardai. Mais la chambre était calme, la lampe continuait de brûler mélancoliquement, et mon livre gisait sur le tapis, les pages en l’air.


Je me réveillai tard, le lendemain, ayant mal dormi, poursuivi, dans mon sommeil coupé de cauchemars, par la pensée de Juliette. Durant cette fin de nuit troublée, fiévreuse, elle ne m’avait pas un instant quitté, prenant les formes les plus extravagantes, se livrant aux plus déplorables fantaisies, et voilà qu’au matin je la retrouvais encore et telle, cette fois, que je l’avais rencontrée, la veille, chez Lirat, avec son air décent, ses manières discrètes et charmantes. J’éprouvai même de la tristesse, — non pas de la tristesse, un regret, le regret qu’on a, à la vue d’un rosier dont toutes les roses seraient fanées et dont les pétales joncheraient la terre boueuse — car je ne pouvais penser à Juliette, sans penser, en même temps, aux paroles méchantes de Lirat : « … Il y avait aussi l’histoire d’un lutteur de Neuilly, à qui elle donnait vingt francs… » Quel dommage !… Quand elle était entrée dans l’atelier, j’aurais juré que c’était la plus vertueuse des femmes… Rien que sa façon de marcher, de saluer, de sourire, d’être assise, disait la