Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/138

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avoir remis mon pardessus à l’ouvreuse, j’avais fait le tour des baignoires avec cette impatience douce, cette caressante angoisse, déjà éprouvée au Bois, et, monté à l’étage supérieur, j’avais continué le même scrupuleux examen des loges. « Pourquoi ne serait-elle pas ici ? » pensais-je. Chaque fois que je ne distinguais pas nettement la physionomie d’une femme, soit qu’elle fût penchée, soit qu’elle fût noyée d’ombre, ou cachée derrière un éventail, je me disais : « C’est Juliette ! » Et chaque fois, ce n’était pas Juliette. La pièce m’amusa ; je ris franchement aux lourdes plaisanteries qui en constituaient l’esprit : toute cette ineptie sinistre, toute cette grossièreté canaille me charmèrent, et j’y trouvai, le plus sérieusement du monde, une ironie qui ne manquait pas de littérature. Aux scènes d’amour, je m’attendris. Je rencontrai, durant le dernier entr’acte, un jeune homme que je connaissais à peine. Satisfait de pouvoir déverser sur quelqu’un ce qui s’amassait en moi de banalités communicatives, je m’accrochai à lui.

— Épatante, cette pièce ! me dit-il… renversante, mon cher.

— Oui, elle n’est pas mal.

— Pas mal ! pas mal !… mais c’est un chef-d’œuvre, mon cher, un chef-d’œuvre épatant !… Moi, ce que je préfère, c’est le second acte… Il y a une situation… non, là… une situation d’une force !… C’est de la haute comédie, vous savez !… Et les toilettes !… Et cette Judic ; ah ! cette Judic !