Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/139

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Il se frappa la cuisse et claqua de la langue.

— Ce qu’elle m’excite, mon cher !… C’est épatant !

Nous discutâmes ainsi le mérite des divers actes, des diverses scènes, des divers acteurs… Au moment de nous séparer :

— Dites-moi, lui demandai-je… est-ce que vous ne connaissez pas une certaine Juliette Roux ?

— Attendez donc !… Parfaitement !… une petite brune, très chic ?… Non, je confonds… attendez donc !… Juliette Roux !… Connais pas.

Une heure après, je m’attablais devant un soda-water, au café de la Paix, où avaient accoutumé de se réunir, à la sortie des théâtres, les plus beaux spécimens du monde galant. Beaucoup de femmes entraient, sortaient, insolentes, tapageuses, recrépies d’une couche de poudre de riz, les lèvres à nouveau badigeonnées de rouge ; à la table voisine de la mienne, une petite blonde, déjà vieille, très animée, racontait je ne sais quoi, d’une voix cassée par la noce ; une autre, plus loin, brune, minaudait, avec une majesté comique de dindon, et, de la même main qui avait croché le fumier dans les cours de ferme, elle maniait l’éventail, tandis que l’homme qui l’accompagnait, affalé sur une chaise, le chapeau un peu rejeté en arrière, les jambes écartées, suçait la pomme de sa canne, obstinément. Un invincible dégoût me monta du cœur aux lèvres ; j’eus honte d’être là, et je comparai aux allures ridicules et bruyantes de ces femmes, la tenue si réservée de la douce Juliette, là-bas, dans l’atelier de Lirat. Ces