Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/144

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une intention ironique, j’ajoutai, en matière de défi :

— Quel grand artiste, n’est-ce pas ?

Juliette laissa passer cette exclamation :

— Vous travaillez donc toujours ? reprit-elle… Du reste, on m’a dit que vous viviez en vrai chartreux… Le fait est qu’on ne vous aperçoit nulle part, monsieur Mintié.

La conversation prit un tour excessivement banal ; le théâtre en fit presque tous les frais. À une phrase que je dis, elle s’étonna, un peu scandalisée.

— Comment, vous n’aimez pas le théâtre ?… Est-il possible, vous, un artiste ?… Moi, j’en raffole… c’est si amusant le théâtre !… Nous retournons, ce soir, aux Variétés pour la troisième fois, figurez-vous…

On entendit un faible jappement derrière la porte.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria Juliette en se levant avec précipitation… Mon Spy que j’ai laissé dans ma chambre !… Il faut que je vous présente mon Spy, monsieur Mintié… vous ne connaissez pas mon Spy ?

Elle avait ouvert la porte, écartait les tentures, toutes grandes.

— Allons, Spy ! disait-elle, d’une voix câline… Où êtes-vous, Spy ? Venez, pauvre Spy !…

Et je vis un minuscule animal, au museau pointu, aux longues oreilles, qui s’avançait, dansant sur des pattes grêles semblables à des pattes d’araignée, et dont tout le corps, maigre et bombé, frissonnait comme s’il eût été secoué par la fièvre. Un ruban de soie