Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/147

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des yeux, l’excessive bonté de la bouche en tempéraient la dureté. Sous le vêtement ample, on sentait se cambrer un corps souple, nerveux, aux ondulations passionnées, aux puissantes étreintes ; ce qui me ravit, surtout, ce furent ses mains, des mains subtiles et adroites, d’une agilité surprenante, et dont chaque mouvement, même indifférent, même colère, était une caresse. Il m’eût été difficile de porter sur elle un jugement précis. Il y avait, en cette femme, un mélange d’innocence et de volupté, de finesse et de bêtise, de bonté et de méchanceté, qui me déconcertait. Chose curieuse ! à un moment, j’avais vu se dessiner, près d’elle, l’horrible image du chanteur des Bouffes. Et cette image formait, pour ainsi dire, l’ombre de Juliette. Loin de se dissiper, à mesure que je la regardais, l’image incarnait, en quelque sorte, une consistance corporelle. Elle grimaça, vire-volta, bondit avec des contorsions infâmes ; ses lèvres s’allongèrent, immondes, obscènes, vers Juliette qui l’attirait, dont la main plongeait dans ses cheveux, courait, frémissante, tout le long du corps, heureuse de se souiller à d’impurs contacts. Et l’ignoble pitre dévêtait Juliette, et me la montrait pâmée, dans la splendeur maudite du péché !… Je dus fermer les yeux, faire des efforts douloureux pour chasser cette abominable vision, et, l’image évanouie, Juliette reprit aussitôt son expression de tendresse énigmatique et candide.

— Et surtout revenez me voir souvent, très souvent,